L’Inalco et l’Idex Sorbonne Paris Cité :
trois
raisons de dire « non »
L’intégration
de l’Inalco à une très grande
université de plus de 120 000 étudiants, prévue par le projet Idex Sorbonne Paris Cité est-elle une
chance pour notre établissement ?
La
lecture attentive des documents dont nous disposons aujourd’hui – le
projet Idex lui-même, mais aussi
le « Règlement relatif aux modalités d’attribution des aides » – nous
conduit au contraire à remettre en cause le bien-fondé de cette initiative.
En
effet, dès son origine, le projet Idex
Sorbonne Paris Cité a été conçu en rupture avec les règles collégiales et
démocratiques qui caractérisent le fonctionnement des établissements
d’enseignement supérieur français.
Il
met en outre directement en péril les missions et l’existence même de l’Inalco.
Ses
principes directeurs, enfin, ne correspondent pas à notre conception de ce que
doivent être l’enseignement supérieur et la recherche publique.
L’Idex et la démocratie à l’Inalco
Le projet Idex a été élaboré dans un secret
absolu, sans information ni consultation de la communauté universitaire, ni
même des conseils élus de l’Inalco.
Sept semaines après qu’il a été accepté, ces derniers restent toujours
totalement ignorants du contenu précis des engagements pris, ainsi que de leurs
conséquences sur les structures pédagogiques et scientifiques, ou sur la
situation des personnels.
Les
personnels sont également tenus dans l’ignorance du contrôle qui sera exercé
par l’Anr sur l’ensemble de leurs activités pédagogiques et de
recherche, contrôle pourtant impliqué par l’entrée dans l’Idex. Rien ne leur est dit non plus des
restructurations induites par ce projet, qu’il s’agisse des recompositions
d’équipes ou de la redistribution des sommes obtenues au titre des Labex par exemple[1].
En
dépit de cette opacité et malgré les chiffres avancés, il est désormais certain
que l’Idex sera en réalité presque entièrement financé par les budgets des
établissements.
Il
est en effet acquis que l’engagement de l’État sera marginal. Les intérêts
annuels de la somme allouée correspondent à moins de 1,7 % du budget des
établissements du PRES[2].
En outre, le versement de cet argent est strictement conditionné, puisque l’ANR
dispose des moyens réglementaires pour ne pas honorer les versements[3].
Par
contraste, l’engagement de l’Inalco serait irréversible si l’établissement signait la convention Idex. Une « lettre d’engagement »,
signée par notre président, est nécessairement jointe au projet Idex[4]. Elle prévoit d’aliéner chaque année
une part du budget de l’établissement au profit du « périmètre
d’excellence » (Péridex) et
des organes qui l’administrent. Bien que la communication en ait été demandée à
deux reprises, les 7 et 22 mars 2012, par de très nombreux élus des conseils,
des responsables de départements, de filières et d’équipes, ce document
essentiel n’a toujours pas été transmis.
L’Idex et les missions de l’Inalco
La finalité de l’Idex est de fusionner les huit
établissements partenaires du Pres
Sorbonne Paris Cité, d’ici
2016, pour constituer une université unique. Pour assurer son caractère non
fédéral, mais résolument unitaire, il a été décidé que seuls cinq représentants
des huit partenaires initiaux auraient un siège au « Board of directors », organe décisionnaire de seize membres qui
va piloter le passage à la nouvelle université. On sait de plus que l’Inalco n’y aura aucun représentant. La
signature de la Convention tripartite avec l’État et l’ANR, donc l’entrée dans
l’Idex, équivaut à l’acceptation
de l’université unifiée, et donc à la disparition de l’Inalco.
Concrètement,
le projet Idex implique le
démantèlement de nos formations. En effet, l’Uspc sera constituée de quatre
divisions : sciences exactes et ingénierie ; sciences de la vie et de
la santé ; humanités - arts, littérature, langues ; sciences sociales
et politiques publiques. En entrant dans ce dispositif, les formations de l’Inalco seront donc éclatées entre les
deux derniers départements, ce qui va directement à l’encontre de
l’articulation nécessaire de nos enseignements de langue et de civilisation.
Par
ailleurs, une seconde ligne de fracture sépare par principe les équipes
appartenant au périmètre d’excellence (équipes classées « A+ » par l’Aeres, Labex, cohortes, IHU, financement ERC)
de celles qui n’y appartiennent pas. Alors que les enseignants des premières
sont placés sous l’autorité du Board,
le sort des autres reste flou, et rien n’est dit de la manière dont les
obligations et moyens de chacun permettront d’assurer nos formations.
Enfin,
l’Idex va capter chaque année
20 % des postes hors Péridex
à renouveler suite aux départs à la retraite[5].
Cela implique pour l’Inalco non
seulement des pertes de postes, mais aussi la perte de la maîtrise de sa
politique de recrutement, à l’intérieur comme à l’extérieur du Péridex.
Dans
ce contexte général, un grand nombre de nos cursus de langues sont mis en
danger, immédiatement à cause de l’éclatement imposé par la nouvelle structure,
à terme par le redéploiement des postes. Chacun a pu constater les conséquences
de telles dynamiques dans d’autres établissements qui assuraient des missions
comparables à celles de l’Inalco.
L’Idex et les missions de l’université
En
instituant une tension permanente dans la recherche des financements
nécessaires à notre travail, les Idex
vont à l’encontre de pratiques intellectuelles où l’émulation et l’innovation
procèdent de dialogues critiques menés dans une confiance réciproque.
La mise en place d’un « périmètre
d’excellence » institue un principe de compétition, entre les
établissements du Pres comme à l’intérieur même de chaque établissement ;
chaque formation ou unité de recherche aura pour objectif de chercher à
rejoindre le Péridex ou à s’y
maintenir. L’adoption d’un tel principe est la négation même du travail
collectif et de la coopération qu’il suppose. Elle implique en outre une
université à deux vitesses : des formations d’excellence d’un côté,
proposées à une minorité et développées grâce à une préemption de postes et de
financements ; des formations appauvries de l’autre, pour la plus grande
partie des étudiants.
Cette concurrence institutionnalisée s’appuie sur des indicateurs
principalement quantitatifs – dont l’effet est renforcé par l’autonomie de
décision du Board et des organes
qu’il désigne. Les formations à petits effectifs, réunissant entre 5 et 10
étudiants, sont déjà pointées du doigt, le projet Idex prévoyant d’atteindre pour chaque cours une
« masse critique d’étudiants[6] ».
Enfin cette concurrence permanente, rythmée par le contrôle annuel
imposé aux différentes équipes, impose à tous une recomposition permanente des
cursus et des équipes[7]. Une telle
instabilité structurelle est incompatible avec les rythmes d’élaboration et
d’accomplissement de tout projet pédagogique ou de recherche sérieux.
Dans ces conditions, nous proposons au vote et à la signature la motion
suivante :
Projet
de motion
Considérant
d’une part que l'ensemble du processus Idex Sorbonne Paris Cité a été et
demeure conduit dans des conditions d'opacité inacceptables, sans aucune
information des Conseils élus ni respect de leurs compétences, et dans la plus
grande défiance à l’égard de l’ensemble de la communauté universitaire ;
Considérant
d’autre part que ce projet met gravement en péril, de manière immédiate, la
pérennité et la cohérence des enseignements et des recherches menés dans le
cadre de l'Inalco, et qu’il a par
ailleurs pour objectif explicite d’aboutir à la disparition de notre
établissement ;
Considérant
enfin que la vision de l'Université proposée par l'Idex ne correspond
en rien à notre conception de ce que doit être le service public de
l'enseignement supérieur et de la recherche,
Nous nous opposons catégoriquement à la participation de l'Inalco à l'Idex Sorbonne Paris Cité,
ainsi qu’à la signature de
la convention Idex, étape préalable et irrémédiable vers la
création d’une université unifiée que nous refusons.
Nous affirmons que l'Inalco
doit rester un établissement autonome et conserver une personnalité morale et
juridique propre.
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