mercredi 28 mars 2012

L’Inalco et l’Idex : trois raisons de dire « NON »


L’Inalco et l’Idex Sorbonne Paris Cité :
trois raisons de dire « non »


L’intégration de l’Inalco à une très grande université de plus de 120 000 étudiants, prévue par le projet Idex Sorbonne Paris Cité est-elle une chance pour notre établissement ?
La lecture attentive des documents dont nous disposons aujourd’hui – le projet Idex lui-même, mais aussi le « Règlement relatif aux modalités d’attribution des aides » – nous conduit au contraire à remettre en cause le bien-fondé de cette initiative.
En effet, dès son origine, le projet Idex Sorbonne Paris Cité a été conçu en rupture avec les règles collégiales et démocratiques qui caractérisent le fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur français.
Il met en outre directement en péril les missions et l’existence même de l’Inalco.
Ses principes directeurs, enfin, ne correspondent pas à notre conception de ce que doivent être l’enseignement supérieur et la recherche publique.

L’Idex et la démocratie à l’Inalco
Le projet Idex a été élaboré dans un secret absolu, sans information ni consultation de la communauté universitaire, ni même des conseils élus de l’Inalco. Sept semaines après qu’il a été accepté, ces derniers restent toujours totalement ignorants du contenu précis des engagements pris, ainsi que de leurs conséquences sur les structures pédagogiques et scientifiques, ou sur la situation des personnels.
Les personnels sont également tenus dans l’ignorance du contrôle qui sera exercé par l’Anr sur l’ensemble de leurs activités pédagogiques et de recherche, contrôle pourtant impliqué par l’entrée dans l’Idex. Rien ne leur est dit non plus des restructurations induites par ce projet, qu’il s’agisse des recompositions d’équipes ou de la redistribution des sommes obtenues au titre des Labex par exemple[1]. 
En dépit de cette opacité et malgré les chiffres avancés, il est désormais certain que l’Idex sera en réalité presque entièrement financé par les budgets des établissements.
Il est en effet acquis que l’engagement de l’État sera marginal. Les intérêts annuels de la somme allouée correspondent à moins de 1,7 % du budget des établissements du PRES[2]. En outre, le versement de cet argent est strictement conditionné, puisque l’ANR dispose des moyens réglementaires pour ne pas honorer les versements[3].
Par contraste, l’engagement de l’Inalco serait irréversible si l’établissement signait la convention Idex. Une « lettre d’engagement », signée par notre président, est nécessairement jointe au projet Idex[4]. Elle prévoit d’aliéner chaque année une part du budget de l’établissement au profit du « périmètre d’excellence » (Péridex) et des organes qui l’administrent. Bien que la communication en ait été demandée à deux reprises, les 7 et 22 mars 2012, par de très nombreux élus des conseils, des responsables de départements, de filières et d’équipes, ce document essentiel n’a toujours pas été transmis.

L’Idex et les missions de l’Inalco
La finalité de l’Idex est de fusionner les huit établissements partenaires du Pres Sorbonne Paris Cité, d’ici 2016, pour constituer une université unique. Pour assurer son caractère non fédéral, mais résolument unitaire, il a été décidé que seuls cinq représentants des huit partenaires initiaux auraient un siège au « Board of directors », organe décisionnaire de seize membres qui va piloter le passage à la nouvelle université. On sait de plus que l’Inalco n’y aura aucun représentant. La signature de la Convention tripartite avec l’État et l’ANR, donc l’entrée dans l’Idex, équivaut à l’acceptation de l’université unifiée, et donc à la disparition de l’Inalco.
Concrètement, le projet Idex implique le démantèlement de nos formations. En effet, l’Uspc sera constituée de quatre divisions : sciences exactes et ingénierie ; sciences de la vie et de la santé ; humanités - arts, littérature, langues ; sciences sociales et politiques publiques. En entrant dans ce dispositif, les formations de l’Inalco seront donc éclatées entre les deux derniers départements, ce qui va directement à l’encontre de l’articulation nécessaire de nos enseignements de langue et de civilisation.
Par ailleurs, une seconde ligne de fracture sépare par principe les équipes appartenant au périmètre d’excellence (équipes classées « A+ » par l’Aeres, Labex, cohortes, IHU, financement ERC) de celles qui n’y appartiennent pas. Alors que les enseignants des premières sont placés sous l’autorité du Board, le sort des autres reste flou, et rien n’est dit de la manière dont les obligations et moyens de chacun permettront d’assurer nos formations.
Enfin, l’Idex va capter chaque année 20 % des postes hors Péridex à renouveler suite aux départs à la retraite[5]. Cela implique pour l’Inalco non seulement des pertes de postes, mais aussi la perte de la maîtrise de sa politique de recrutement, à l’intérieur comme à l’extérieur du Péridex.
Dans ce contexte général, un grand nombre de nos cursus de langues sont mis en danger, immédiatement à cause de l’éclatement imposé par la nouvelle structure, à terme par le redéploiement des postes. Chacun a pu constater les conséquences de telles dynamiques dans d’autres établissements qui assuraient des missions comparables à celles de l’Inalco.

L’Idex et les missions de l’université
En instituant une tension permanente dans la recherche des financements nécessaires à notre travail, les Idex vont à l’encontre de pratiques intellectuelles où l’émulation et l’innovation procèdent de dialogues critiques menés dans une confiance réciproque.
La mise en place d’un « périmètre d’excellence » institue un principe de compétition, entre les établissements du Pres comme à l’intérieur même de chaque établissement ; chaque formation ou unité de recherche aura pour objectif de chercher à rejoindre le Péridex ou à s’y maintenir. L’adoption d’un tel principe est la négation même du travail collectif et de la coopération qu’il suppose. Elle implique en outre une université à deux vitesses : des formations d’excellence d’un côté, proposées à une minorité et développées grâce à une préemption de postes et de financements ; des formations appauvries de l’autre, pour la plus grande partie des étudiants.
Cette concurrence institutionnalisée s’appuie sur des indicateurs principalement quantitatifs – dont l’effet est renforcé par l’autonomie de décision du Board et des organes qu’il désigne. Les formations à petits effectifs, réunissant entre 5 et 10 étudiants, sont déjà pointées du doigt, le projet Idex prévoyant d’atteindre pour chaque cours une « masse critique d’étudiants[6] ».
Enfin cette concurrence permanente, rythmée par le contrôle annuel imposé aux différentes équipes, impose à tous une recomposition permanente des cursus et des équipes[7]. Une telle instabilité structurelle est incompatible avec les rythmes d’élaboration et d’accomplissement de tout projet pédagogique ou de recherche sérieux.

Dans ces conditions, nous proposons au vote et à la signature la motion suivante :

Projet de motion


Considérant d’une part que l'ensemble du processus Idex Sorbonne Paris Cité a été et demeure conduit dans des conditions d'opacité inacceptables, sans aucune information des Conseils élus ni respect de leurs compétences, et dans la plus grande défiance à l’égard de l’ensemble de la communauté universitaire ;

Considérant d’autre part que ce projet met gravement en péril, de manière immédiate, la pérennité et la cohérence des enseignements et des recherches menés dans le cadre de l'Inalco, et qu’il a par ailleurs pour objectif explicite d’aboutir à la disparition de notre établissement ;

Considérant enfin que la vision de l'Université proposée par l'Idex ne correspond en rien à notre conception de ce que doit être le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche,

Nous nous opposons catégoriquement à la participation de l'Inalco à l'Idex Sorbonne Paris Cité, ainsi qu’à la signature de la convention Idex, étape préalable et irrémédiable vers la création d’une université unifiée que nous refusons.

Nous affirmons que l'Inalco doit rester un établissement autonome et conserver une personnalité morale et juridique propre.





[1] Règlement Idex, p. 7.
[2] Après décompte des sommes versées au titre des Labex, le financement Idex est estimé par le bureau du PRES à 17 millions d’euros par an.
[3] Règlement Idex, p. 6-9.
[4] Règlement Idex, p. 2.
[5] Projet Idex, p. 37.
[6] Ibid., p. 45.
[7] Ibid., p. 18.

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