lundi 26 mars 2012

Les universités sous le contrôle de l’ANR pour un plat de lentilles


Les initiatives d’excellence ou « idex » sont habilement présentées depuis deux ans par le gouvernement comme une manne financière inédite destinée à irriguer l’enseignement supérieur et la recherche dans ses composantes « d’excellence ».
Le communiqué du 14 mars 2012 diffusé par le PRES Sorbonne Paris Cité prend au contraire acte que la dotation que l’Etat a décidé d’attribuer au projet d’Initiative d’Excellence « Université Sorbonne Paris Cité » ne représente que 60 % de celle demandée . Dans cette situation, les sommes versées annuellement (revenus d’une dotation non consommable) au titre de l’Idex devraient représenter environ 23 millions d’euros – sur un périmètre couvrant 8 établissements. Pour que les volumes en jeu soient clairement connus, il faut rappeler que, dès le collectif budgétaire du 21 janvier 2010, l’État a retiré du budget de la Mission interministérielle pour l’enseignement supérieur et la recherche (MIRES) la somme de 125 millions d’euros, afin de « couvrir l’augmentation de la charge d’intérêt résultant de l’emprunt national » (page 121 de la LFR du 21 janvier 2010).
Ainsi le processus des Idex apparaît-il pour ce qu’il a toujours été : une opération de communication gouvernementale aux fins essentielles de restructuration en profondeur de l’enseignement supérieur, sans moyens supplémentaires, dans la plus grande opacité, en mettant à mal les principes de service public, de collégialité et de démocratie universitaire.
Au-delà de la faiblesse des moyens réels et de l’opacité des modalités d’élaboration de ces projets d’Idex, on soulignera ici l’ampleur et la lourdeur du dispositif de contrôle de l’ANR sur les établissements, ainsi que les multiples interrogations sur l’affectation de leurs ressources financières vers le « peridex » – en l’absence de communication de tout document financier du projet SPC par les présidents des établissements concernés ou par le PRES.
La seule lecture du Règlement de l’Idex (http://www.agence-nationale-recherc...) est en effet éclairante sur le contrôle des activités de recherche et de formation par l’Agence nationale de la Recherche et des conditionnalités multiples imposées pour « bénéficier » des 23 millions d’euros annuels. Conformément à la logique des appels à projet, ce ne sont pas les établissements bénéficiaires des aides qui en ont la maîtrise, mais bien l’ANR.
Formations et politique scientifique aux mains de l’ANR
Le Règlement relatif aux modalités d’attribution des aides au titre de l’appel à projet « initiative d’excellence » prévoit des conditions suspensives de versement : elles sont incluses dans les conventions d’attribution signées entre l’Etat, l’ANR et le bénéficiaire, et le non-respect de ces règles fixées permet à l’Agence d’« arrêter le versement de l’aide et exiger le reversement total ou partiel des sommes versées au titre de l’opération » (Règlement, point 4.5, p. 5-6). Après début d’exécution, les versements par tranches annuelles pendant la période probatoire sont effectués « après chaque période de douze mois, sous réserve, le cas échéant, de la production par le bénéficiaire des rapports intermédiaires prévus dans la convention attributive » (Règlement, point 5.1).
Le contrôle sur les sommes versées est étroit :
« Le bénéficiaire s’engage à respecter les indications qui lui sont données par l’agence pour la fourniture, la présentation et la diffusion des comptes rendus. Il s’engage également à participer activement aux opérations de suivi du programme organisées par l’ANR (séminaires, colloques...). Des comptes rendus intermédiaires seront adressés par le bénéficiaire à l’agence selon une périodicité et dans des formes définies dans la convention attributive d’aide. » (Règlement, point 6.2.1)
Les différentes étapes et l’ensemble de l’opération font l’objet d’un contrôle global aux mains de l’ANR qui peut être suspensif (voir Règlement, point 6.2.1) :
« Dans le cas où, au vu notamment d’un compte rendu intermédiaire, l’ANR constate que :
 la capacité du bénéficiaire à mener le projet selon les modalités prévues initialement est mise en cause,
ou que :
 l’avancement du projet présente un retard significatif par rapport au calendrier prévu,
l’agence pourra décider, après avoir mis en demeure le bénéficiaire de présenter ses observations, de suspendre tout versement ou/et de mettre en œuvre les dispositions de l’article 6.4. » [Ledit article 6.4 détaille la procédure de reversement.]
Les outils du contrôle par l’ANR
Pour s’assurer que les « bénéficiaires » de l’Idex se plient aux injonctions de l’ANR, l’article 6.3 du Règlement pose des principes de « contrôles – vérification du service fait » particulièrement draconiens :
« A tout moment, durant l’exécution de l’opération et dans un délai maximal de deux ans à compter de la date de demande de versement du solde de la période probatoire ou, à défaut, de la date prévue de fin des travaux, des personnes habilitées par l’agence peuvent procéder sur place et sur pièces à tout contrôle relatif aux mesures prises pour l’exécution de l’opération, à l’état de réalisation de celui-ci et à la vérification du service fait par le constat de la réalité des dépenses justifiées.
A cet effet, le bénéficiaire est tenu de laisser accéder les personnes habilitées par l’agence aux sites ou immeubles où sont réalisés les travaux aidés et de leur présenter les pièces justificatives et tous autres documents, y compris les livres de comptes de l’organisme, dont la production est jugée utile au contrôle de l’utilisation de l’aide.
Le refus d’un de ces contrôles éventuels entraîne l’annulation de l’aide. »
Ainsi, l’ensemble du mécanisme de versement présente les caractéristiques suivantes :
• Les règles régissant les liens entre ANR et « bénéficiaires » sont fixées dès la convention tripartite.
• La poursuite de la procédure de versement des aides relève, à chaque étape, de l’appréciation exclusive de l’ANR.
• L’ensemble des « bénéficiaires » de l’Idex est continûment soumis – à titre individuel et collectif – à un contrôle bureaucratique.
Enfin, dernier point passé trop facilement inaperçu, le Règlement de l’Idex prévoit (Règlement, introduction du point 5, p. 6) que : « L’agence est tenue aux versements des montants de l’aide dans la limite des fonds dont elle dispose. »
Autrement dit, si l’ANR n’était plus en mesure d’exécuter ses obligations, les versements ne seraient pas de droit.
Quid du « milliard » ?
Ainsi, loin de la pluie d’euros annoncée à grands renforts de communiqués gouvernementaux, le processus des Idex est un tour de passe-passe. Même la maîtrise du fameux « milliard » de chaque projet accepté (ramené de 1,3 milliard à 800 millions d’euros pour le projet USPC) reste pour ainsi dire extérieure à l’Idex puisque le Règlement précise les modalités de son attribution et de son utilisation.
D’une part, son octroi est conditionné à des règles qui n’ont pas encore été fixées. C’est ce qui ressort du point 6.2.2 du Règlement : « L’Initiative d’excellence fera en fin de phase probatoire l’objet d’une évaluation permettant d’apprécier les résultats obtenus et de déterminer si la dotation peut lui être attribuée définitivement et dans quelles conditions. Les modalités de cette évaluation seront fixées par l’Etat. » Le « versement du solde » sera donc fonction de cette « évaluation » (Règlement, 5.1).
D’autre part, au-delà de la période probatoire, « et sous réserve d’une évaluation démontrant que les engagements pris au moment du lancement de l’Initiative d’excellence ont été tenus et les objectifs atteints, les Initiatives d’excellence seront dotées définitivement » (Règlement, point 5.3, p. 6). Il s’agit d’une dotation « en capital non consommable, attribuée au porteur de l’initiative ». Il est précisé que « cette dotation reste non consommable et devra être déposée sur un compte au Trésor, conformément à l’article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 » (Règlement, point 5.3, p. 6).
Quels engagements financiers pour les établissements ?
Autrement dit, même après la période probatoire, les Idex continueront d’être abondés par les seuls intérêts d’une dotation déjà en diminution. Les documents financiers relatifs au projet n’ayant pas été soumis à l’approbation des conseils d’administration des établissements au moment du dépôt du dossier, comment et sur quels budgets « tous les moyens nécessaires à la réalisation de l’opération aidée » seront-ils mis en œuvre ? Les huit établissements membres du PRES n’étant pas fusionnés, « les délibérations du conseil d’administration de l’EPCS Université Paris Cité ne peuvent pas contraindre ceux-ci sur les moyens que chacun décide d’affecter à l’établissement », c’est-à-dire au PRES ni à ce projet d’Idex.
Quelles conséquences les porteurs et membres du projet d’Idex tirent-ils de la fonte d’un tiers de la dotation envisagée pour un projet présenté comme restructurant pour chacun et l’ensemble, et pourtant conçu comme dans une chambre obscure, loin des instances démocratiques et collégiales ?
Il appartient aux Conseils d’administration des établissements de se ressaisir des compétences dont ils ont été indûment privés et être informés aussi complètement que leurs compétences l’exigent. Avant qu’il ne soit trop tard.
Bruno Andreotti (Paris 7 Denis-Diderot), Michel Bernard (Paris 3 Sorbonne Nouvelle), Etienne Boisserie (Inalco), Emmanuel Lozerand (Inalco), Céline Ruet (Paris 13), Marie-Albane de Suremain (Paris 7 Denis-Diderot).
16 mars 2012

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