Les initiatives d’excellence ou « idex » sont
habilement présentées depuis deux ans par le gouvernement comme une manne
financière inédite destinée à irriguer l’enseignement supérieur et la recherche
dans ses composantes « d’excellence ».
Le communiqué du 14 mars 2012 diffusé par le PRES
Sorbonne Paris Cité prend au
contraire acte que la dotation que l’Etat a décidé d’attribuer au projet
d’Initiative d’Excellence « Université Sorbonne Paris Cité » ne
représente que 60 % de celle demandée . Dans cette situation, les sommes
versées annuellement (revenus d’une dotation non consommable) au titre de
l’Idex devraient représenter environ 23 millions d’euros – sur un périmètre
couvrant 8 établissements. Pour que les volumes en jeu soient clairement
connus, il faut rappeler que, dès le collectif budgétaire du 21 janvier 2010,
l’État a retiré du budget de la Mission interministérielle pour l’enseignement
supérieur et la recherche (MIRES) la somme de 125 millions d’euros, afin de
« couvrir l’augmentation de la charge d’intérêt résultant de l’emprunt
national » (page 121 de la LFR du 21 janvier 2010).
Ainsi le processus des Idex apparaît-il pour ce qu’il a toujours
été : une opération de communication gouvernementale aux fins essentielles
de restructuration en profondeur de l’enseignement supérieur, sans moyens
supplémentaires, dans la plus grande opacité, en mettant à mal les principes de
service public, de collégialité et de démocratie universitaire.
Au-delà de la faiblesse des moyens réels et de l’opacité des
modalités d’élaboration de ces projets d’Idex, on soulignera ici l’ampleur et
la lourdeur du dispositif de contrôle de l’ANR sur les établissements, ainsi
que les multiples interrogations sur l’affectation de leurs ressources
financières vers le « peridex » – en l’absence de communication de
tout document financier du projet SPC par les présidents des établissements
concernés ou par le PRES.
La seule lecture du Règlement de l’Idex (http://www.agence-nationale-recherc...)
est en effet éclairante sur le contrôle des activités de recherche et de
formation par l’Agence nationale de la Recherche et des conditionnalités
multiples imposées pour « bénéficier » des 23 millions d’euros
annuels. Conformément à la logique des appels à projet, ce ne sont pas les
établissements bénéficiaires des aides qui en ont la maîtrise, mais bien l’ANR.
Formations et politique
scientifique aux mains de l’ANR
Le Règlement relatif aux modalités d’attribution des aides au
titre de l’appel à projet « initiative d’excellence » prévoit des
conditions suspensives de versement : elles sont incluses dans les
conventions d’attribution signées entre l’Etat, l’ANR et le bénéficiaire, et le
non-respect de ces règles fixées permet à l’Agence d’« arrêter le
versement de l’aide et exiger le reversement total ou partiel des sommes
versées au titre de l’opération » (Règlement, point 4.5, p. 5-6). Après
début d’exécution, les versements par tranches annuelles pendant la période
probatoire sont effectués « après chaque période de douze mois, sous
réserve, le cas échéant, de la production par le bénéficiaire des rapports
intermédiaires prévus dans la convention attributive » (Règlement, point
5.1).
Le contrôle sur les sommes versées est étroit :
« Le bénéficiaire s’engage à respecter les indications qui
lui sont données par l’agence pour la fourniture, la présentation et la
diffusion des comptes rendus. Il s’engage également à participer activement aux
opérations de suivi du programme organisées par l’ANR (séminaires,
colloques...). Des comptes rendus intermédiaires seront adressés par le
bénéficiaire à l’agence selon une périodicité et dans des formes définies dans
la convention attributive d’aide. » (Règlement, point 6.2.1)
Les différentes étapes et l’ensemble de l’opération font l’objet
d’un contrôle global aux mains de l’ANR qui peut être suspensif
(voir Règlement, point 6.2.1) :
« Dans le cas où, au vu notamment d’un compte rendu
intermédiaire, l’ANR constate que :
la capacité du bénéficiaire à mener le projet selon les
modalités prévues initialement est mise en cause,
ou que :
l’avancement du projet présente un retard significatif par
rapport au calendrier prévu,
l’agence pourra décider, après avoir mis en demeure le
bénéficiaire de présenter ses observations, de suspendre tout versement ou/et
de mettre en œuvre les dispositions de l’article 6.4. » [Ledit article 6.4
détaille la procédure de reversement.]
Les outils du contrôle par
l’ANR
Pour s’assurer que les « bénéficiaires » de l’Idex se
plient aux injonctions de l’ANR, l’article 6.3 du Règlement pose des principes
de « contrôles – vérification du service fait » particulièrement
draconiens :
« A tout moment, durant l’exécution de l’opération et dans
un délai maximal de deux ans à compter de la date de demande de versement du
solde de la période probatoire ou, à défaut, de la date prévue de fin des
travaux, des personnes habilitées par l’agence peuvent procéder sur place et
sur pièces à tout contrôle relatif aux mesures prises pour l’exécution de
l’opération, à l’état de réalisation de celui-ci et à la vérification du
service fait par le constat de la réalité des dépenses justifiées.
A cet effet, le bénéficiaire est tenu de laisser accéder les
personnes habilitées par l’agence aux sites ou immeubles où sont réalisés les
travaux aidés et de leur présenter les pièces justificatives et tous autres
documents, y compris les livres de comptes de l’organisme, dont la production
est jugée utile au contrôle de l’utilisation de l’aide.
Le refus d’un de ces contrôles éventuels entraîne l’annulation
de l’aide. »
Ainsi, l’ensemble du mécanisme de versement présente les
caractéristiques suivantes :
• Les règles régissant les liens entre ANR et
« bénéficiaires » sont fixées dès la convention tripartite.
• La poursuite de la procédure de versement des aides relève, à
chaque étape, de l’appréciation exclusive de l’ANR.
• L’ensemble des « bénéficiaires » de l’Idex est
continûment soumis – à titre individuel et collectif – à un contrôle
bureaucratique.
Enfin, dernier point passé trop facilement inaperçu, le
Règlement de l’Idex prévoit (Règlement, introduction du point 5, p. 6)
que : « L’agence est tenue aux versements des montants de l’aide dans
la limite des fonds dont elle dispose. »
Autrement dit, si l’ANR n’était plus en mesure d’exécuter ses
obligations, les versements ne seraient pas de droit.
Quid du
« milliard » ?
Ainsi, loin de la pluie d’euros annoncée à grands renforts de
communiqués gouvernementaux, le processus des Idex est un tour de passe-passe.
Même la maîtrise du fameux « milliard » de chaque projet accepté
(ramené de 1,3 milliard à 800 millions d’euros pour le projet USPC) reste pour
ainsi dire extérieure à l’Idex puisque le Règlement précise les modalités de
son attribution et de son utilisation.
D’une part, son octroi est conditionné à des règles qui n’ont
pas encore été fixées. C’est ce qui ressort du point 6.2.2
du Règlement : « L’Initiative d’excellence fera en fin de phase
probatoire l’objet d’une évaluation permettant d’apprécier les résultats
obtenus et de déterminer si la dotation peut lui être attribuée définitivement
et dans quelles conditions. Les modalités de cette évaluation seront fixées par
l’Etat. » Le « versement du solde » sera donc fonction de cette
« évaluation » (Règlement, 5.1).
D’autre part, au-delà de la période probatoire, « et sous
réserve d’une évaluation démontrant que les engagements pris au moment du
lancement de l’Initiative d’excellence ont été tenus et les objectifs atteints,
les Initiatives d’excellence seront dotées définitivement » (Règlement,
point 5.3, p. 6). Il s’agit d’une dotation « en capital non consommable,
attribuée au porteur de l’initiative ». Il est précisé que « cette
dotation reste non consommable et devra être déposée sur un compte au Trésor,
conformément à l’article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars
2010 » (Règlement, point 5.3, p. 6).
Quels engagements financiers
pour les établissements ?
Autrement dit, même après la période probatoire, les Idex
continueront d’être abondés par les seuls intérêts d’une dotation déjà en
diminution. Les documents financiers relatifs au projet n’ayant pas été soumis
à l’approbation des conseils d’administration des établissements au moment du
dépôt du dossier, comment et sur quels budgets « tous les moyens
nécessaires à la réalisation de l’opération aidée » seront-ils mis en
œuvre ? Les huit établissements membres du PRES n’étant pas fusionnés,
« les délibérations du conseil d’administration de l’EPCS Université Paris
Cité ne peuvent pas contraindre ceux-ci sur les moyens que chacun décide
d’affecter à l’établissement », c’est-à-dire au PRES ni à ce projet
d’Idex.
Quelles conséquences les porteurs et membres du projet d’Idex
tirent-ils de la fonte d’un tiers de la dotation envisagée pour un projet
présenté comme restructurant pour chacun et l’ensemble, et pourtant conçu comme
dans une chambre obscure, loin des instances démocratiques et
collégiales ?
Il appartient aux Conseils d’administration des établissements
de se ressaisir des compétences dont ils ont été indûment privés et être
informés aussi complètement que leurs compétences l’exigent. Avant qu’il ne
soit trop tard.
Bruno Andreotti (Paris 7 Denis-Diderot), Michel Bernard (Paris 3
Sorbonne Nouvelle), Etienne Boisserie (Inalco), Emmanuel Lozerand (Inalco),
Céline Ruet (Paris 13), Marie-Albane de Suremain (Paris 7 Denis-Diderot).
16 mars 2012
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